En Italie, un fait divers relance le débat sur la détention d’armes à feu

Par Olivier Bonnel (Rome correspondance) – Fonte: Le Monde

C’est une banale réunion de copropriété qui a viré au drame. Dimanche 11 décembre, un homme a fait irruption dans un bar de Fidene, un quartier du nord-est de Rome, tuant quatre femmes. Le meurtrier, Claudio Campiti, âgé de 57 ans, a raconté à la police être passé à l’acte en accusant le syndic d’agir «comme des mafieux». Sur son blog, il avait confié vivre sans eau et électricité pour cause de factures impayées.

Ce drame n’aurait pu noircir que la page des faits divers des journaux italiens s’il ne soulevait pas la question sensible des armes à feu dans la péninsule italienne. Car l’arme de Campiti, un pistolet Glock calibre 45, a été dérobée dans un club de tir romain, sans que cela ait été signalé. Par ailleurs, les premières investigations sur le passé du tueur ont révélé que le permis de port d’arme lui avait été retiré en 2018.

La possession d’armes de poing chez les Italiens est une véritable zone grise, faite de vide juridique et de manque de volonté politique. «Si l’on s’arrête à la question de savoir pourquoi une personne a pu sortir une arme d’un club de tir, on passe à côté du problème, confie Giorgio Beretta, membre de l’Opal, l’Observatoire sur les armes légères et les politiques de défense de Brescia (Nord). Le véritable problème est dans le manque de transparence et de suivi des contrôles, aucune norme en Italie n’exige les vérifications adéquates».

La législation est, en effet, étonnamment permissive. En 2022, en Italie, tout citoyen qui ne souffre pas de problèmes mentaux ou d’addiction à la drogue ou à l’alcool peut obtenir un permis de port d’arme. Seule une autocertification suffit, contresignée par un médecin traitant, ce qui laisse des failles évidentes, souligne M. Beretta. Le renouvellement des licences, tous les cinq ans, se fait presque sans aucune expertise psychiatrique ni contrôle médical avancé. Autre aberration pour le chercheur : l’absence d’antivols sur les armes des stands de tir, quand les bouteilles d’alcool dans les supermarchés en sont, par exemple, dotées.

«Se faire justice soi-même»
D’après Giorgio Beretta, auteur de l’ouvrage Il Paese delle armi («Le pays des armes» (Altreconomia, non traduit), 3 à 4 millions d’armes légères circulent en Italie. Un arsenal utilisé à des fins de défense personnelle, pour la chasse ou encore le tir en club sportif. Le ministère de l’intérieur reste muet sur le nombre d’armes enregistrées en Italie. «Nous n’avons aucune donnée sur le nombre de licences d’armes. Nous ne savons pas combien d’armes sont chez les Italiens. Mais surtout, on ne sait rien sur les nombres d’homicides ou de tentatives d’homicides commis au moyen d’armes légales», poursuit Giorgio Beretta.

Un rapport du Sénat publié en 2020 a néanmoins révélé que 16% des féminicides ont été commis avec des armes à feu détenues légalement, 87% de leurs auteurs ayant ensuite retourné leur arme contre eux. «En Italie, trop d’armes circulent, le drame de Fidene le montre», déplore Walter Verini, sénateur du Parti démocrate (PD, centre gauche).

En 2021, au lendemain de l’assassinat d’un Marocain à Voghera (Lombardie), l’élu a relancé une proposition de loi tendant à renforcer le contrôle des armes. « Nous n’avons pas senti beaucoup d’enthousiasme sur le sujet, concède-t-il, entre autres pour des raisons idéologiques. » M. Verini accuse la Ligue (extrême droite) de Matteo Salvini d’avoir «toujours fait campagne pour la légitime défense, c’est-à-dire se faire justice soi-même». La proposition de loi Verini demandait notamment que les propriétaires d’armes se soumettent, chaque année, à un contrôle psychiatrique.

«Poids des lobbys»
Avec le retour de la droite au pouvoir, les opposants à la circulation des armes peinent à voir un changement à court terme, surtout dans une Italie connue pour la qualité de ses armureries, exportant dans le monde entier. Selon l’Association nationale des producteurs d’armes et de munitions sportives et civiles (Anpam), le secteur ne pèse pas moins de 7,5 milliards d’euros. «Le poids des lobbys est très fort», explique Riccardo Magi, du parti Piu Europa (gauche). Pour le député, lui aussi porteur d’une proposition de loi en 2021, « la réalité des armes est présentée de manière faussée à l’opinion publique ». Selon lui, « on vante un besoin de rendre toujours plus accessibles les armes pour l’autodéfense, alors que les chiffres montrent en réalité une baisse constante de la criminalité ».

La route semble encore longue pour réguler le marché des armes en Italie. Au printemps 2022, la foire européenne de Vérone, consacrée à « la chasse, au tir sportif et à l’outdoor », faisait la promotion de fusils et de pistolets à usage privé. « Une opération de propagande visant à encourager la diffusion des armes en Italie », avait dénoncé, alors, l’Opal de Brescia.

Fonte: ©Le Monde